Voilà des textes écrits lors de tout premier jour de travail. Ne travaillais-je pas alors me demanderez-vous? Eh bien nan! Enfin pas tout le temps car il ne savait pas encore quoi me donner pour m'occuper...tordu pensez-vous? Eh vi c'est ça l'administration!
Alors ne me demandez pas ce que c'est, dans l'ennui profond dans lequel j'étais plongée, mon cerveau s'est emparé tout seul de ma main pour écrire, je n'étais qu'une simple spectatrice.
Vilà le premier; celui qui n'est pas du tout marrant et limite tragique...
D'un habile coup de rein il l'envoya valser mais se retrouva projeté à terre. Le sable brûlant emplissait ses narines; il toussa. Le souffle de son assaillant était sur sa nuque. En tremblant, il pivota sur le dos et se mit à battre frénétiquement l'air de ses bras et ses jambes meurtries.
Il sut qu'il avait atteint sa cible en entendant un grognement. Le soleil l'aveugla tandis qu'il se redressait avec difficulté. Un liquide poisseux obstruait sa vue et coulait le long de sa tempe.
Sa respiration était difficile. Il n'entendait que le bruit de ses pieds s'enfonçant dans le sable qui ralentissait sa progression. Des pas lourds se lançèrent à sa suite.
Le miroitement bleu de l'océan emplissait l'horizon, un voile blafard ondulait à sa surface. La porte. Son issue.
Mais jamais il n'y parviendrait, l'autre se rapprochait. Ses pieds martelaient le sol comme une sentence de mort.
Une douleur vive lui vrilla soudain le flanc. Un cri jaillit de sa gorge sèche. Il s'écroula.
Son ombre menaçante se dessina au-dessus de lui; un sourire marquait son visage meurtrier.
Une vague s'écrasa sur la plage et emporta son murmure agonisant. Plus jamais. Il avait gagné...
Le deuxième! Nettement plus empreint de folie comme à mon habitude.
-Explique-moi comment ton lit peut être occupé alors que tu es devant moi? dit l'homme, faussement surpris en se grattant la tête.
-Dédoublement Papa, ou clonage. Qui sait avec les progrès de la science de nos jours?
Le père et le fils se scrutèrent intensément. Le fils affichant une expression innocente de jeune angelot pur; le père hésitant entre le suspendre par les pieds dans la cave ou bien le fouetter avec un saucisson.
La cave était démodée, et puis il lui avait infligé ça des dizaines de fois déjà. Le saucisson alors? Non il serait par la suite immangeable et la vie coûte cher. Peut-être qu'un banal séjour dans le frigo serait bénéfique? A condition de le vider de sa nourriture avant; il ne fallait pas le laisser dilapider le garde-manger.
Mr Alphonsini ouvrit la bouche en exhibant une glotte d'une effrayante couleur mauve. Mais son fils, qui avait vu les rouages de son cerveau se mettre en action pour chercher une punition digne de ce nom, prit les devants. La ruse, sa seule issue pour échapper à la cave ou à tout autre endroit sorti de l'imagination de son géniteur.
-Papa..., fit-il d'une voix volontairement ensommeillée. Qu'est-ce que tu fais debout à cette heure?
Le grand homme afficha un visage déformé par la stupeur. Deux minutes plus tôt il s'était rendu dans la chambre de son enfant pour vérifier s'il ne s'était pas enfui pour rejoindre sa bande de malfaisants...le lit était habité. Enfin à en juger par la protubérance sous les couvertures.
Et là, ce même fils supposé se trouver dans les bras de Morphée, lui faisait face vêtu d'une étrange tenu -qui à n'en pas douter n'était pas un pyjama- et prenait un air ensommeillé alors qu'il venait de le provoquer une seconde plus tôt.
Se pourrait-il qu'il ait rêvé? Tout imaginé? Il n'avait pourtant pas consommé ses champignons hallucinogènes au diner.
-Tu...tu; bégaya Mr Alphonsini en désignant tour à tour son fils et la porte de sa chambre.
-Je quoi Papa?ça ne va pas?
-Euh...si; je crois.
-Tu devrais retourner te coucher, tu as encore dû faire une crise de somnanbulisme.
L'homme acquiesça d'un air absent et s'éloigna d'un pas fantomatique.
-ça a encore marché, se félicita son petit diablotin de fils en se frottant sournoisement les mains. A tous les coups il rentre dans le panneau!
Sûr qu'il échapperait à une punition cuisante -ou rafraichissante- il se rendit dans sa chambre; ôta les oreillers de sous ses couvertures, et se coucha en repensant à la magnifique fête qu'il avait vécu avec ses amis.
Et enfin le troisième, en hommage à mes chers collègues du moment.
Je me suis toujours demandé ce que pouvaient bien faire les gens travaillant dans les bureaux. La réponse est simple: rien.
Ils parlottent et se déplacent le plus lentement possible d'un bureau à un autre pour entamer un maximum le temps de travail restant.
Parfois un dossier ou deux échoue sur leur bureau et ils sont alors obligés d'y jeter un oeil agacé en prétextant qu'ils sont déjà débordé.
Débordé oui. De travail non.
Leur principal activité se déroule sur le net ou bien au téléphone. Des coups de fil a priori professionnels se transforment bien vite en conversation personnelle pour piailler à propos du repas de midi pris en toute hâte en raison de leur charge déroutante.
De temps à autre quelqu'un rompt le silence ambiant par un bruit plus que suspect qui s'avèrera être un mouchage dans les règles de l'art pour tenter d'imiter un éléphant. Mais cela ne dure jamais longtemps; la morosité reprend bien vite le dessus.
Pour s'occuper, les employés réellement désireux de justifier leur salaire, passent le plus de temps possible sur un document qu'on leur a remis à poster. L'écriture de l'adresse se fait alors avec la lenteur la plus extrème, autant qu'il est humainement possible, dans le but de savourer cet instant privilégié de travail intensif.
Bien avant l'heure les lieux sont désertés, laissant les couloirs vides pleurer leur tourmente dans les locaux surchargés d'onde de fainéantise.
Le travail de bureau est somme toute fort impressionnant; non pas vis à vis des tâches accomplies, mais bien du travail inexistant qui malgré tout laisse ses victimes sur les rotules.
Nous comprenons mieux désormais pourquoi nos parents nous poussent à faire de longues études; pourquoi ils nous encouragent dans une voie administrative. Car la seule partie du corps souffrant d'un travail bureaucratique, ce sont bien les fesses, soumises à rude épreuve posées sur un fauteuil moelleux de longues heures durant.